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Il était une fois à Nostramo

Achèvements choisis :

  • Sacré-Saint : Mentionner l’Empereur
  • A votre santé : Un personnage boit ou mange quelque chose.
  • Comme si on y était : Faire une description détaillé d’un lieu, d’un décor

On avait parlé de forme noire, d’ombre qui hantait la nuit, engendrée par les ténèbres. On avait évoqué des grandes ailes de cuir semblables à celles d’une chauve-souris, des yeux rouges et luisants, de bras minces terminés par des serres, de crocs acérés, et tout cela était vrai.

Je pris mon poste à l’heure habituelle. Une journée comme les autres dans le palais du Gouverneur Ruthven. Il ne devait rencontrer qu’une délégation de mineurs, puis le gouverneur passerait quelques heures avec sa fille. Moi et mes hommes, on était chargés de veiller à ce que personne n’attente à sa personne : le statut d’homme le plus riche de Nostramo suscitait bien des jalousies. Mais mon maître était un subtil : il n’était pas de ces fortunés qui affichaient leurs possessions avec étalage, illuminant leurs demeures que l’on distinguait à des lieux à la ronde, perçant le brouillard perpétuel de la ville.

Méprisant ces inconscients, Ruthven faisait profil bas, s’autorisant seulement quelques néons bleuâtres, tranchant faiblement la nuit née de la pollution. Le vrai pouvoir, pour lui, s’exerçait dans le secret. Quand on devait maintenir sa position en laissant des cadavres derrière soi (et à Nostramo il n’existait pas d’autre manière) mieux valait se faire oublier. Vingt générations de Gouverneurs ne pouvaient pas se tromper. Ruthven, comme son père avant lui, mourrait au sommet. Son seul bonheur que je lui connaissais était sa fille, qu’il élevait pour qu’elle poursuive la lignée, glorieuse et secrète, des Ruthven.

Le Gouverneur recevait dans la plus grande pièce du palais, une grande pièce vide et froide, un trône surmontait une dizaine de marches noires à son extrémité. Sur les murs immenses, comme une décoration incongrue dans un lieu si austère, quelques démons ailés se laissaient ronger par l’air pollué qui entrait dès que l’on ouvrait une porte. Certains tendaient leurs bras comme une prière. Il arrivait que l’on pende des agitateurs à leurs grandes pattes griffues. C’était, pour ainsi dire, de la parure utile. La délégation de mineurs était introduite par une porte de service. J’étais aux côtés du Gouverneur qui buvait calmement un verre de vin.

Quelque chose clochait. Les mineurs, généralement humbles et repliés sur eux-mêmes, avaient une allure plus assurée, leurs yeux, au lieu de chercher le sol, s’attardaient sur Ruthven avec un air de défi. Je resservis un verre à Ruthven qui le but plus fébrilement.

 — Lord Ruthven ! clama le plus grand des membres de la délégation. Nous sommes venus vous informer que la mine restera fermée jusqu’à nouvel ordre ! Nous exigeons…

Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase. Ruthven, en un geste s’était levé et avait fracassé son verre aux pieds de l’homme. Son visage était blême.

 — Vous exigez ? Vous n’exigez rien du tout ! De quel droit exiger quelque chose d’un Gouverneur de Nostramo ! Vous n’êtes même pas dignes de laper ce vin à vos pieds !
 — Méfiez-vous, Ruthven ! Nous ne sommes plus seuls contre votre armée, maintenant ! Il viendra pour vous ! Il hante et il veille !

L’homme hurlait et crachait maintenant son verbe en direction du trône. C’en était trop pour Ruthven, qui me fit un signe. Je saisis mon arme et, en un geste, exécutai deux des hommes. Le prêcheur était pour les tourmenteurs et Ruthven lui-même : une telle insolence ne pouvait être punie que par une mort lente et publique. Deux de mes hommes emmenèrent l’homme vers les cachots du palais. Je fis signe au reste de patrouiller autour du palais : l’audience était terminée. Pourtant, une présence semblait être avec nous. Ruthven prit son pistolet, et tira sur l’une des gargouilles, qui perdit quelques morceaux de pierre.

Je n’avais jamais vu le Gouverneur dans cet état. J’avais toujours ignoré son âge, mais il ressemblait maintenant à ces petits vieux tremblants qui mendiaient dans les rues de Quintus. Épuisé, il se rassit en s’épongeant le visage. Sa voix résonnait dans la pièce froide.

 — Nero, dit-il, tire-moi donc les cartes.

Durant mon service à ses côtés, je ne l’avais vu faire cela qu’à une seule occasion : lors de la naissance de sa fille. Je n’étais pas mauvais en tarot divinatoire — et un jeu bien préparé vous aide souvent à soulager quelques crédules pour rallonger un peu la solde, dans les tavernes de Quintus. Je sortis donc mon jeu fétiche, m’apprêtais à tirer la carte de la Fortune, une belle prédiction, bonheur pouvoir avenir richesse, et :

 — Le Fou.

Ruthven sursauta, et hurla presque.

 — Qu’est-ce que tu dis ? Le Fou ?

Je ne comprenais pas. Je retournais la carte : la marque était bien là, ce devait être la carte de la Fortune. Le vent glacé qui hurlait à l’extérieur du Palais ne faiblissait pas, et la lumière des torches et des néons semblait faiblir de minute en minute. Je me repris. J’avais dû me tromper dans la marque. Le même jeu depuis dix ans ? C’était surement cela.

 — Le Fou, Seigneur. Cela n’est pas forcément négatif : on peut y voir, par exemple…
 — Tire une autre carte !

Ruthven, d’habitude si froid, si maitre de ses émotions. Je l’avais vu rester stoïque devant tant de tentatives d’assassinat, mépriser la lâcheté, haïr la faiblesse. Une autre carte : la Vie.

 — Le Jugement.

Je n’attendis pas qu’il m’en donne l’ordre pour tirer une autre carte. La Tempérance !

 — Le…Fou.

La Force !

 — … La Mort.

Un souffle de vent glacial fit s’envoler les cartes, quand mon Second entra précipitamment, recouvert d’un sang noir et luisant.

 — Seigneur Gouverneur ! Il est ici ! Vous devez vous mettre en sécurité dans la chambre blindée !

Je saisis Ruthven par le bras, sortit de la salle du trône, avant de me diriger vers la crypte. C’était là qu’était dissimulée la chambre blindée, capable de résister aux meilleurs missiles de Nostramo avec un système de surveillance vidéo et des vivres pour un an. J’activai le système de verrouillage avant de brancher les caméras. Ruthven était effondré. Son regard semblait demander des réponses. Ce n’était bien sûr pas la première fois que nous étions attaqués, mais quelque chose avait changé — nos mouvements semblaient plus lents, voués à l’échec.

Mes hommes s’étaient rassemblés dans la salle du Trône : c’était les ordres en cas d’attaque, le seul passage pour envahir le Palais. La pièce était immense, mais dépourvue de cachettes, et personne ne faisait le poids face aux trente guerriers que j’avais personnellement entrainés, année après année.

L’enregistrement se fit soudain plus saccadé. L’un des hommes avait disparu — à moins qu’il ne soit caché par l’ombre des murs, oui, il était de nouveau visible à l’écran. Mais ce n’était pas lui : cette chose-là absorbait la lumière.

J’aurais voulu crier pour avertir mes hommes quand deux d’entre eux s’effondrèrent, tenant leurs gorges. Ceux qui étaient à proximité saisirent leurs armes, mais ne firent pas feu : que voyaient-ils ? Qu’est-ce qu’ils attendaient ? L’ombre ne bougeait plus, puis sembla soudain grandir, absorbant la lumière au passage- et qu’est-ce qu’il avait dans le dos ? Des ailes ?

L’ombre ne se pressait pas, c’était la mort implacable qui avançait et tuait mes hommes — il ouvrit l’un d’entre eux comme on broie une carcasse- l’écho de ce bruit ! il était de tous les côtés, dans tous les angles de la salle. L’enregistrement saccadait de plus en plus. Les images étaient floues et incohérentes : c’était, sur certaines images, un géant aux yeux rouges qui éviscérait les deux Ogryns de la garde de Ruthven. Sur d’autres, une créature aux membres étirés comme une mante religieuse, et semblait sur les murs comme une araignée. Parfois, l’ombre avait la forme d’un homme, mais sa mâchoire s’étirait à la manière des baudroies — un sourire qui arrachait des lambeaux de chair grosses comme le poing. Les hurlements devenaient de plus en plus étouffés et il n’y eut bientôt plus de cris dans la nuit.

J’entendais Ruthven qui marmonnait tout seul. La chose caquetante qui haletait dans la chambre blindée n’avait plus grand-chose à voir avec l’homme impitoyable que j’avais devant moi une heure encore auparavant. C’était sa voix, ce chuchotement ?

 — Jette l’œil sur tes crimes, car Il vient pour toi. Pas de miséricorde. Il y a les dieux qui marchent parmi les hommes, Nero. Et parmi les dieux, il y a les monstres.

Je n’arrivais plus à réfléchir de manière cohérente, il fallait, je devais me concentrer. Il me restait mon arme. Il ne m’aurait pas vivant. Jamais. En un battement de cœur, la forme avait disparu de l’écran. Le son de la caméra renvoyait des pas lents et lourds. Personne ne pouvait forcer la porte personne, personne. Ruthven était vaincu, anéanti. Y avait-il ici quelqu’un de vivant ? Que faisait-il ?

Ses pas résonnaient toujours. Il devait approcher. Je scrutais le moindre mouvement de la pièce. J’étais prêt. Et puis, je compris. Il ne venait pas pour nous. Le Fou, le Jugement, le Pendu. La Mort.

Je basculai l’écran des caméras vers l’escalier de la tour Est. Et Ruthven comprit à son tour. Je vis toute trace de raison disparaitre de son visage. La chose gargouillante qui déverrouilla le verrou de la chambre blindée et se mit à courir vers la tour est, cette chose-là n’avait plus sa place que dans l’égout le plus sombre, le plus humide et le plus oublié. Je courus à sa suite, bien que je sache ce qui nous attendait. Tout danger était écarté, le pire était devant nous.

Le cri horrible qui s’échappa de la chambre de la fille de Ruthven. Il avait fouaillé ses entrailles pour mieux la pendre. Ses yeux à jamais ouverts n’exprimaient que la terreur. La chambre se perdait dans les gloussements et les hoquets de Ruthven.

 — Il y a les dieux qui marchent parmi les hommes, Nero. Et parmi les dieux, il y a les monstres.

L’ombre était dans la salle du trône. Sur les marches couvertes de sang coagulé, la tête entre les mains. Le Jugement avait été rendu. Pour quelques instants il était en paix. Des taches blanches ressortaient à travers le noir du sol et le rouge du sang : des cartes de tarot étaient dispersées sur le sol. La chose qui hantait la nuit les saisit, les contempla, et les jeta en poussant un hurlement de dément, avant de disparaître. À travers les taches rouges qui gouttaient, on distinguait le symbole de chacune d’entre elles. L’Empereur. L’Empereur. L’Empereur.