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La Voix des Anges

Je me rappelle.

Lui me disait incapable d’éprouver la moindre émotion, mais je n’en suis pas si sûr. Après tout, ne sont-ce pas des larmes qui brouillent ma vue ? Mais les larmes sont comme les souhaits, elles ne changent pas la réalité des choses. Lui n’est plus là, notre rêve est anéanti et je sais d’ores et déjà ce que me réserve l’avenir. Luther avait tort, mais il n’était pas dans l’erreur. Ou alors, nous l’avons tous été, mais sans qu’on puisse nous blâmer.

Je me relève, sans entrain. Probablement un automatisme de combat. Peu importe, me voilà debout, alors que je préférerais être allongé, soumis à l’oubli le plus total. Mais je suis pourtant ici, à contempler la dévastation de notre monde. J’ignore ce que l’Histoire retiendra. Probablement le combat entre Luther et lui, la décharge psychique du traître corrompu, mais ça n’est qu’un grain de sable dans le désert.

Seul le début importe.

Nonobstant les sirènes qui hurlaient en continu, la situation semblait très mauvaise. Sa bure déchirée et maculée de sang en témoignait, mais c’était surtout la gravité aléatoire qui inquiétait Lythiel – comme il était étrange de porter de nouveau ce nom.

Le guerrier s’extirpa de la cellule blindée, contemplant avec tristesse les corps des quatre surhommes brisés par différents choc. Même maintenant, après des décennies d’isolement, il reconnaissait parfaitement le bruit d’une bataille spatiale, et les chocs des armes planétaires. Lythiel dépassa rapidement le sinistre quatuor en armures noires, mais il s’arrêta aussitôt. Son regard fut attiré par une vitrine brisée, vers laquelle il avança avec déférence. Il avait presque oublié le vert profond qu’il avait lui-même appliqué sur les épaisses couches de céramite, les arabesques sur la crosse de son pistolet ou le discret poème gravé sur le côté gauche de son casque.

Soupirant, Lythiel retira les fragments de métal de sa cuisse et de son torse, avant de s’avancer vers l’armure. Après tout, avant son isolement, il avait revêtu plusieurs fois cette carapace tout seul. Un frisson de nostalgie inhabituel lui parcourant l’échine, Lythiel retira brusquement sa robe souillée avant d’assembler sur lui-même son armure, pièce après pièce. Il savoura particulièrement la sensation si ancienne d’invincibilité, mais aussi de certitude.

Enfin, avec une délicatesse étrange pour un surhomme de son envergure, le Space Marine se vêtit de la bure qu’il affectionnait tant, dont les bords étaient ornés de ses prédictions à une encre céruléenne. Son pistolet à plasma ronronna doucement, et Lythiel sourit du sentiment humain qui avait poussé le Lion à garder tout cela si près de sa cellule.

Les coursives du vaisseau – comment s’appelait-il, déjà ? – étaient vides, aussi Lythiel put-il laisser son instinct le guider tranquillement vers cette fameuse baie de décollage. Il sentit un bref pincement au cœur en voyant par un hublot les flammes qui ravageaient sa planète, mais il s’était attendu à tout cela. Après tout, n’avait-il pas le premier averti le Lion du mal qui rongeait Caliban ?

A mi-chemin, Lythiel croisa deux frères en arme, leurs armures noires contrastant avec les oculaires écarlates de leurs casques ornementés. Il ne pouvait pas voir leur expression, mais leur surprise était palpable. A peine eurent-ils levé leurs bolters que Lythiel fut sur eux, son couteau en main. La lame aiguisée au niveau monomoléculaire trancha la gorge exposée du premier, puis traversa l’aisselle du second pour empaler son cœur primaire.

« Pardonnez-moi, mes frères », murmura le traître, et il fut surpris d’entendre comme ces années de silence avaient changé sa voix. 

Plus il approchait de son objectif, plus son expression changeait, devenant de pierre au fur et à mesure qu’il repoussait les certitudes qui l’assaillaient. Sa bouche se tordit en un rictus mauvais, mais Lythiel continua d’avancer, comprenant l’importance de sa mission.

Pourtant, il ne put s’empêcher de penser à l’héraldique qui ornait sa genouillère gauche, symbole désuet d’une famille qu’il avait condamnée sans le savoir. Après tout, il était bien le dernier représentant de son ordre. Oui, le dernier, même si peu de gens se souvenaient de la véritable origine de Cypher Lythiel.

Alors voilà, c’est fini. Le Lion est mort. Je n’ai aucun moyen d’en être sûr, mais la tempête Warp qui fait rage me semble suffisamment menaçante. Je titube, tandis que mon corps fait parvenir à mon cerveau des informations que je préférerais ignorer. Poumon droit perforé, cellules de Larraman poussées à leur maximum. Trois doigts cassés, fémur gauche fêlé et probablement plusieurs microfissures dans mon armure thoracique. Un vague goût de sang dans la bouche, trop peu chargé en oxygène. Je dois réguler ma respiration.

« Cypher… ».

Je tourne la tête à gauche, et avance lentement vers le traître. C’est comme ça qu’on l’appellera, dans les millénaires à venir.

« Luther, je murmure en m’agenouillant à côté de lui. Mon vieil ami, je pensais que tu m’avais oublié ».

Il pousse un petit rire, et je comprends le mépris qu’il éprouve envers le Lion et ses ordres. Son crâne rasé sue abondamment, et sa peau présente une affreuse teinte grisâtre. Il ne va pas mourir, mais il est n’est plus si vivant. Ses iris sont d’un noir repoussant.

- L’ordre de Lythiel… une belle fin, grâce à toi, chuchote Luther. L’apothéose. Dommage… pour la vérité…
 — Ça n’est pas une fin, je réplique avec douceur, réfléchissant en même temps à mes paroles. Non, la rébellion d’Horus n’est que le commencent d’une mission plus large. Peu importe que personne ne se souvienne de mon ordre. Les pères de mes pères seraient fiers de mes actions.
 — Et notre père… à tous ?.

Je grimace, ne voulant pas réfléchir à ce sujet que j’ai tant pris soin d’éviter. Le pardon des anciens rois calibanites me sera-t-il donné par l’Empereur ? Et lui, absoudra-t-il son fils pêcheur ? Mes visions ne m’ont pas révélé ce qu’il adviendra précisément de Luther, si ce n’est qu’il sera aux mains des Dark Angels pour longtemps. Quant à moi, je n’ai pas besoin de mes misérables flashs sporadiques pour savoir ce que je vais devenir.

 — Tu… es contrarié, sourit Luther, un filet de sang coulant de la commissure de ses lèvres. Tu devrais avoir l’âme… légère, Cypher.
 — Je n’ai plus ce titre ! Je grogne. Le Lion a jugé bon de me voler ce que j’ai créé pour maintenir la cohésion de Caliban, tant pis ! C’est trop tard !
 — Oui…  trop tard.

Il fixe quelque chose derrière moi, et je me retourne, l’arme parée. Ils sont une dizaine, portant cette abhorrable livrée noire. Ils ne tirent pas, cherchant vainement le corps d’un primarque qui n’est plus là. Il a rejoint Astelan, Zahariel et tous ces autres guerriers trahis. Je me lève rapidement, et quand ma première décharge arrache la tête d’un de mes frères, je sens poindre dans mes yeux la même expression que celle du Lion, à Zedaar’Ner.

***

Lorsque le soleil froid commença sa descente vers l’horizon fumant, Lythiel ne bougeait toujours pas, comme si sa gigantesque armure verte avait bloqué ses membres. La fumée qui montait de la forteresse familiale avait un certain aspect éthéré, une beauté douloureuse. Cela rappela brièvement au chevalier les textes ésotériques étudiés avec l’aspirant Corswain.

Lorsqu’il entendit les premiers pas, Lythiel se retourna lentement, luttant pour ne pas saisir l’arme qui pendait à sa cuisse droite. En face de lui arrivait un être aussi grand que magnifique, dont l’armure sombre semblait un écho de la nature de cette planète. Son regard, à jamais indéchiffrable, ne convoyait aucune émotion devant le massacre de Zedaar’Ner, ses iris plus insondables que les forêts équatoriales. L’immense guerrier secoua la tête, comme par dépit, et ses longs cheveux bouclés bougèrent légèrement. Avec un sourire amer, Lythiel se fit la réflexion qu’ils avaient le même blond cendré que les champs qui finissaient de se consumer plus loin.

« Pourquoi ? »

Lion El’Jonson ne répondit pas à la question, dévisageant patiemment le premier Cypher. Finalement, il regarda tristement les cieux et parla, de sa voix douce mais ferme :

 — L’ordre de Lythiel était noble, mais nous savons tous les deux ce qu’il en est maintenant. Un nid de corruption, d’idées hérétiques et de pratiques obscures. Tu as toi-même chuté dans l’obscurantisme que tu combattais.
 — Alors voilà, nous y sommes, répliqua Lythiel d’un ton légèrement moqueur. Tu es tellement pressé de partir aider à la Grande Croisade, de sentir les lauriers de ton père sur ton visage angélique ! Mais avant, tu te dois de nettoyer la vermine, n’est-ce pas ?
 — Oui, répondit simplement le Lion. Il ne reste que toi.
 — Pauvre imbécile ! cracha le chevalier en se retournant vers les ruines fumantes. Tu te penses sûr de toi et calculateur, alors que la peur humaine t’habite ! Moi, je l’ai vaincue par la force de mon esprit, pas par une quelconque manipulation génétique dans je ne sais quelle crypte terranne ! Regarde donc Luther, celui que tu aimes comme un père ; tu ne sens pas comme tu le blesses, comme ta fierté rayonnante l’aveugle ? Cesse de poursuivre tes chimères, et montre-toi digne de ce monde que tu dis aimer.
 — Lythiel, soupira le primarque en baissant les yeux. Tu ne peux plus être le Cypher. J’ai toléré ces visions pour le statut qui est le tien, mais ça ne peut plus durer. Ton nom ne signifie plus rien, laisse-moi au moins faire perdurer ton titre.
 — Et ensuite ? Laisseras-tu ma dépouille aux prédateurs nocturnes ? Ou peut-être auras-tu la décence de m’enterrer parmi les miens ?
 — Non, Lythiel. J’ai envisagé ta mort, mais ton ami a accepté de ne plus faire mention de toi et ton ordre en échange de ta vie sauve.

Cypher Lythiel hocha la tête, cependant qu’il voyait comment se dessinerait l’avenir. La chute d’un ange, l’enfer déchaîné et la trahison la plus grande qui soit. Sans oublier, bien sûr, les larmes d’un primarque, et celles plus déchirantes encore d’un père.

Je n’éprouve pas vraiment de remord en regardant les frères que j’ai tués. Après tout, ils auraient fait pareil avec moi. Je regarde Luther ; le vieil homme a les yeux fermés, mais je sais que c’est pour mieux combattre le mal aussi bien psychique que physique qui le ronge. J’ignore s’il est mon ennemi, mais il reste mon frère.

***

Aujourd’hui, j’ai tué un primarque, le mien. Je ne retire aucun plaisir de cet acte, mais peut-être une certaine satisfaction, comme après une longue attente. Il était blessé, mais avait encore une bonne partie de ses capacités. La lutte n’aura pas été trop dure, au final, même si mon épée est brisée, et mon esprit affaibli. Le Lion est tombé dans la noirceur de l’espace, là où il aurait dû se perdre plutôt que de damner sa légion. Il aurait dû mourir dans les Mondes Boucliers, dans sa jeunesse. Il aurait dû succomber aux griffes de Curze, sur cette sombre planète dont mes visions me refusent le nom. Mais voilà, il est mort maintenant.

Je laisse Luther à son sommeil clinique, et me dirige à la limite de la baie. Le tableau qui s’offre à moi est effrayant, mélange de couleurs impossibles autour d’un monde brisé. Je ne suis pas sûr de mes prolepses, mais il me semble que la Tour des Anges sera épargnée. C’est probablement une bonne chose.

Mon nom est mort, il ne me reste plus rien, si ce n’est le souvenir de mon primarque. Je ne suis plus que Cypher, déchu du titre qui symbolisait nos rites calibanites.

Oh, L’épée du Lion. Je saisis sa délicate poignée chryséléphantine, et constate qu’elle me sied parfaitement.

Je lui arrangerai un fourreau plus tard. La lame orange brille faiblement, comme en écho à la souffrance matérielle qui fait rage en dessous. Je passe l’épée dans mon dos, sans plus de cérémonie.

L’espace, et le Warp, m’appellent.

Inspirant profondément, je brise le bouclier atmosphérique de la baie d’une simple pensée, avant de m’offrir au noir vide.

Après tout, je ne suis plus qu’un ange dans les ténèbres.