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Critique de Le Maître de l'Humanité par Maestitia

Publié le Vendredi 5 mai 2023 | 6 révisions avant publication | 4 corrections après publication

Ra revint auprès de l’Empereur et fit comme il lui était dit. L’eau se soulevait par vagues mesurées, venant se heurter aux rochers qui bordaient le rivage. Tout au loin à l’horizon, apparaissait le rebord d’une autre masse terrestre.

— Je vois une autre terre. Une île, peut-être.
— Il s’agit d’Albia, il y a de cela des millénaires. Mais ce n’est pas l’important. Vous voyez son littoral. Vous savez qu’elle est là, vous savez que vous pourriez l’atteindre par bateau, ou à la nage, ou par engin volant. Il s’agit là de ce que vous savez.

Les yeux noirs de l’Empereur se perdirent dans le vague. Il faisait face au rivage éloigné, mais Ra doutait qu’il le vît encore.

— Vous faites donc route vers lui. Mais tout ce que vous voyez est votre destination. Vous ne pouvez pas voir les créatures sous la surface qui dévorent les voyageurs. Vous ne savez pas si le vent soufflera et vous écartera de votre course. Et s’il souffle, vous enverra-t-il à l’est ? À l’ouest ? Au nord, au sud ? Fracassera-t-il complètement votre esquif ? Peut-être y a-t-il des rochers sous l’eau, impossibles à voir avant qu’ils ne frottent et n’arrachent la coque de votre bateau. Peut-être les habitants de ce lointain rivage feront-ils feu sur vous avant que vous n’ayez pu accoster.

L’Empereur se tourna à nouveau vers Ra, même si curieusement, son regard ne se focalisa pas.

— Mais le rivage était en vue tout ce temps, Ra. Avez-vous manqué de prédire tous ces dangers possibles entre ici et là-bas ?
— Peut-être les avais-je tous prédits, sire. Peut-être avais-je tenu compte de la possibilité que chacun d’entre eux se produise.
— Peut-être, en effet. Et qu’en est-il de ceux que vous ne pouviez pas prédire ? Chaque instant qui passe est riche d’une centaine de milliers de chemins possibles. L’artisane qui construisait votre bateau peut succomber d’une défaillance cardiaque avant de vous l’avoir livré. Ou bien décide-t-elle de ne plus vous accorder ses services. Vous lui dites les mots qu’il ne fallait pas. Vous lui offrez la mauvaise monnaie. Elle vous a menti, et c’était une voleuse. Un ennemi sabote votre embarcation avant même que vous ne fassiez voile. Vous parvenez à mi-chemin sur ce bras d’eau pour apercevoir finalement une côte plus prometteuse à l’est ou à l’ouest. Minute après minute, éventualité après éventualité, chemin après chemin. Toutes ces variables qu’il est impossible de voir de l’endroit où vous vous tenez.

L’Empereur tendit le bras comme s’il avait pu écraser ce littoral dans son gantelet d’or. Son expression était froide, d’une pâle férocité.

— Je vois la côte, Ra. Je sais ce qui m’y attend. Mais je ne peux pas voir toutes les vicissitudes infinies entre ici et là-bas.

Il finit par abaisser sa main.

— Voilà ce qu’est la clairvoyance, Ra. Connaître un trillion d’avenirs possibles, et en être réduit à deviner par quelle infinité de chemins parvenir jusqu’à chacun d’eux. Tracer la voie vers même un seul de ces possibles, en tenant compte de chaque décision que chaque être vivant pourrait prendre, et qui influera sur les autres autour de lui, réclamerait la durée de toutes les vies que j’ai déjà vécues. La seule façon d’avoir la moindre certitude…

Il laissa mourir sa phrase, en faisant un geste vers le rivage distant.

— Est d’atteindre l’autre côté, dit Ra.

L’Empereur hocha la tête.

— Lorsque la crypte fut assaillie et le projet Primarques compromis, aurais-je dû tous les détruire ? Ou bien faire comme je l’ai fait, et croire que j’allais être capable de les ramener à la grandeur ? Si je les avais détruits pour empêcher qu’ils ne soient enlevés, l’Imperium se serait-il hissé comme il l’a fait ? Ou bien la Grande Croisade aurait-elle vacillé et échoué sans ses généraux ? Il n’existe pas encore de réponses, Ra. Nous sommes au milieu de la mer, entourés de courants étranges et de créatures inattendues, mais nous n’avons pas encore été déviés de notre route.

41ème tome de l’Hérésie d’Horus et l’on se rapproche du Siège de Terra, mais il nous reste encore du chemin à parcourir avant de lire l’affrontement final entre loyalistes et renégats.

Cependant l’heure approche. Cela fait maintenant cinq ans que Magnus le Rouge, Primarque des Thousand Sons est venu mettre en péril la création de l’Empereur en voulant l’avertir de la trahison du Maître de Guerre. Par son ignorance et sa bonne foi, le Roi Écarlate a fracturé le Grand Œuvre du Maître de l’Humanité en créant une brèche dans la Toile Eldar sous le palais Impérial, dans les  profondeurs de Terra.

Depuis, les vagues de démons abjects et autres non-nés monstrueux affluent en vagues incessantes sous forme de crocs, de griffes et de tentacules. Alors que l’Adeptus Custodes  et les Sœurs du Silence se saignent aux quatre veines pour repousser les engeances du warp, l’Empereur quant à lui, est coincé sur le Trône d’Or afin de contenir les hordes démoniaques et empêcher la chute de Terra elle-même.

C’est dans ce contexte apocalyptique, au bord de l’effondrement qu’Aaron Demski-Bowden nous raconte la Guerre dans la Toile.

Tout un défi que d’écrire sur ces personnages d’exception. Il y a certes l’Empereur au cœur de l’ouvrage dont la complexité d’écriture n’est pas à remettre en question, mais ce sont les Dorés, aussi surnommés les Dix Mille, qui seront le fil conducteur de ce roman. Accompagnés de la Sororité Silencieuse, il m’a été agréable de constater que l’auteur parvient sans accroc à nous offrir des portraits crédibles bien qu’extraordinaires, de ces individus si rarement dépeints.

Autant, j’ai du mal à supporter les Custodes dans 40k, autant dans la saga de l’Hérésie d’Horus je les savoure véritablement ! À travers Diocletian, Ra ou encore Sagittarus, ADB explore la psychologie et les compétences phénoménales des Dix Mille. Là où Diocletian est dépourvu de la moindre compassion pour le commun des mortels, Ra est décrit comme un guerrier privilégié qui bénéficie des visions de l’Empereur.

En effet, Ra aura la primauté de voyager à travers les anciennes réincarnations du Maître de Terra, offrant en guise d’interlude, des passages intéressants sur la vision et les projets de grandeur de l’Empereur. Bien que les tirades de celui-ci m’aient souvent semblé indigestes, notamment en début de roman, on comprend aisément la difficulté de faire parler et agir ce personnage mystérieux et ô combien surpuissant. Il n’en reste pas moins fascinant de lire les conversations des prétoriens et de l’Empereur.

Les Sœurs du Silence ne sont  pas en reste, bien que moins développées que les Custodes. Kaeria aura pour mission de procéder à une razzia de psykers en un temps-record. Dans quel but ? Je ne saurai le dire, mais rappelez-vous que tout projet grandiose demande de faire des sacrifices.

En revanche, j’ai été un peu déçu des seconds rôles. Il y en a peu, mais seul Zephon a subi un traitement convaincant selon moi. Les autres servent à meubler, n’offrant que de faibles intrigues facultatives. Il y a malgré tout de très bonnes idées, comme l’impression cérébrale de la carte des souterrains de Terra dans le cerveau de Hieronyma par le Mechanicum. Une  scène d’une incroyable violence, une torture fidèlement retranscrite ajoutant ce parfum si singulier qu’est le grimdark. Une véritable réussite d’ambiance.

En parlant de Mars, j’ai adoré l’implication des adeptes du culte de la Machine dans ce roman. Car oui, ces derniers auront un rôle crucial dans la construction/stabilisation des tunnels de la Toile. On en parle rarement, mais suite à la trahison du Fabricator Général Kelbor-Hal, les forces loyalistes se sont retrouvées à fuir la planète rouge.

Sur Terra, les serviteurs du Dieu-Machine font office de réfugiés, d’exilés et bien qu’ils respectent l’Empereur plus que tout, leur agenda diffèrent toujours quelque peu de celui de l’Imperium. C’est cet aspect paradoxal que j’ai aimé suivre et qui vient pimenter l’histoire de la Guerre dans la Toile.

Il y a aussi la cohorte de rebus, engagée par le Custodes Diocletian. Un échantillon hétéroclite de personnages recrutés à la dernière minute pour participer aux combats contre les démons. On y retrouve un adepte de Mars au savoir précieux, un vétéran de la IXème qui ne peut plus se battre et une maison de Chevaliers Impériaux libérée sous caution. Encore une fois, cela ajoute du contenu, mais reste peu convaincant in fine.

De même le méchant de l’histoire n’a pas su me convaincre. Certes le démon du premier meurtre est une belle trouvaille, car il est difficile d’imaginer un adversaire à la hauteur de l’Empereur. Cependant, son traitement, plus particulièrement en fin d’ouvrage ne m’a pas satisfait. À vrai dire, je ne m’attendais pas à ce qu’il y est un véritable vilain. Les déferlements ininterrompus de démons n’étaient-ils pas suffisants ?

Par ailleurs, les scènes de combat et les batailles épiques narrées dans ce roman sont magistrales. Je pèse mes mots en disant que Le Maître de l’Humanité possède parmi les meilleures scènes d’action de toute la saga. Que ce soit l’exténuation, la fatigue extrême des Dix Mille viscéralement retranscrites par l’auteur ou les osts cauchemardesques de l’Empyrean déferlant sur les défenses impériales, tout est parfaitement dosé.

On s’y croit. Nous sommes avec les Custodes luttant avec résilience et bravoure, nous sommes dans la mêlée aux côtés des Sœurs repoussant les abominations vomies par le warp. Le lecteur baignera aussi dans cette marée puante, grotesque et cadavérique aussi acharnée qu’obstinée à dévorer les défenseurs de Terra tout en se délectant de chaque tuerie.

Il faut bien comprendre que ce roman est indispensable, vous l’auriez sans doute parié, mais ce n’est pas uniquement dû à la présence soutenue de l’Empereur. Ici vous serez amené à lire des descriptions d’une très grande richesse ou l’emphase se conjugue avec le grandiose, le glorieux et le divin.

Le lectorat aura à traverser La Porte de l’Éternité depuis les yeux de Zephon, le Blood Angel estropié au cœur vaillant et insoumis, à arpenter la Toile indicible des Eldars à partir des augmentiques du technoarchéologue Arkhane Land, à admirer le Trône d’Or dans toute sa splendeur aveuglante. Les yeux des initiés brilleront en lisant ces lignes, car tel fut mon cas en découvrant l’abondance de détails de ces lieux mythiques.

En conclusion, ce roman est une réussite, mais il a su m’agacer sincèrement à plusieurs reprises. J’ai trouvé la première moitié du roman longue à lire, mais le récit augmente en intensité de manière crescendo jusqu’à l’apothéose finale qui magnifie l’histoire et ses protagonistes.

Les plus

  • L’Empereur au cœur du roman, ses visions et sa psychologie complexe et souvent inhumaine.
  • L’Adeptus Custodes éprouvée comme jamais auparavant.
  • Le réalisme des combats surhumains livrés par les forces impériales.
  • Des descriptions de qualité de lieux d’anthologie.
  • Une ambiance sous tension de bout en bout.
  • Des dialogues forts et profonds sur la survie de l’espèce humaine.

Les moins

  • Le démon du premier meurtre peu convaincant.
  • Légitimation du Land Raider plus que douteuse.
  • Quelques tirades indigestes de la part de l’Empereur.
  • L’aspect sinistre, voire hostile de l’Empereur.
4/5

Avec le Maître de l’Humanité, Aaron Dembski-Bowden nous prouve qu’il est possible de narrer efficacement une bataille aussi épique que celle de la Toile. Custodes et Sœurs du Silence sont à l’honneur face aux horreurs du Chaos Primordial brillamment orchestré dans une lutte épique pour la survie de Terra avec en son cœur l’Empereur, joyaux et ambassadeur du genre humain.