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La Fin de Tout

Quelle valeur restait-il à sa vie ?

Adossé dans l’ombre derrière un des étais de la coursive, au milieu de l’éclairage rouge des gyrophares d’alerte, Quoraak remplissait le chargeur de son pistolet, en piochant au fond d’un étui à sa ceinture les derniers bolts ramassés de-ci de-là au cours des derniers mois. Son œil bionique droit qui venait d’être endommagé n’arrivait plus à percer cette pénombre agitée.

D’emblée, cet abordage de la dernière chance n’avait pas semblé prometteur, mais ils n’avaient guère eu le choix. Les vaisseaux des deux camps étaient de plus en plus rares à se hasarder encore seuls. Après des mois, et toutes ces années de survie, les réserves de ses frères Iron Hands et lui n’avaient cessé de s’amenuiser, tout comme leurs stocks de projectiles d’artillerie, et de prothèses bioniques nécessaires à remplacer les leurs. Un coup de chance leur permettait parfois d’en récupérer au hasard sur les vétérans de l’ennemi plutôt que sur leurs frères défunts.

Vivre comme des charognards. Ne plus frapper que là où ils le pouvaient, guetter des cibles médiocres, simplement humaines pour la plupart. Et par malchance, celle de ce jour avait encore des Astartes de l’ennemi à son bord. Comme ils étaient tombés bien bas.

Les autres ne connaîtraient plus cette humiliation. Lidriik, mort dix jours plus tôt en partant inspecter seul cette réserve de l’avant-poste de Sizias que les renégats avaient piégée. Kaagun, Orros, tombés une heure plus tôt lors de la fusillade contre le petit groupe venu immédiatement les cueillir au point de frappe de leur torpille d’abordage. Terrek, surpris par la tourelle automatisée d’un petit couloir sur tribord, imprévisible à cet endroit. Sha’agr, le dernier Salamander, qui les aurait accompagnés jusqu’au bout ; le bras arraché par l’explosion du lance-flammes miniature qu’il portait au poignet, il s’était rué à la charge, l’épée brandie de sa main gauche, en hurlant d’une fureur qu’ils ne lui avaient jamais vue. Feirros, qu’il venait de perdre à cent mètres d’ici tandis qu’ils progressaient en silence en se couvrant mutuellement.

Pour eux tous, la vie ne s’était plus résumée qu’à attendre et à guetter, bloqués par les remous d’un Immaterium hors de lui. Quant à leurs espoirs de rejoindre Terra, sans jamais qu’aucun d’eux ne l’eût admis publiquement devant les autres, leur groupe ne se berçait plus guère d’illusions.

Même les dernières nouvelles reçues du capitaine Atticus et de Shadrak Meduson remontaient à des mois, se dit-il.

Il ne restait plus que lui.

Et impossible de s’emparer de cette frégate de patrouille à lui seul, aussi petite fût-elle. Pour le moment, cet endroit perdu entre les soutes en valait bien un autre pour reprendre ses esprits. Il ne savait trop où il se trouvait, à vrai dire ; ce repli en hâte, alors que Sha’agr vendait sa vie pour essayer d’offrir du temps à ses derniers frères, l’avait forcé à partir au hasard, sans plus se préoccuper du tracé habituel des vaisseaux de cette classe ni des marquages aux murs.

Pour l’instant, les bruits de pas résonnaient encore en remontant les corridors. Mais pas dans les environs, lui semblait-il.

Même à bout de souffle, le Medusean Might pouvait peut-être lui permettre de repartir d’ici. Mais pour aller où ? Et pour accomplir quoi ?

Les bolts avaient finalement permis de remplir encore un chargeur entier, et il lui en restait quelques-uns. Non que cela dût faire une grande différence s’il tombait sur un groupe trop important.

Son armure noire et ses augmentiques apparents teintés de rouge par l’éclairage, il tira de l’autre main sa dague de combat monomoléculaire et repartit ainsi au hasard des couloirs.

Quoraak parvint vite à s’orienter ; à défaut d’une nouvelle frégate, il lui fallait au moins un appareil de retour vers le Medusean Might. Il progressa à pas mesurés, l’ouïe aux aguets, l’œil encore intact scrutant partout.

Au hasard d’un des croisements en direction de la baie d’envol, alors qu’il en franchissait l’angle, un pistolet s’abaissa soudain près de sa tempe et le tint en respect.

 — Arrête-toi, lui dit le renégat.

Un frère de jadis, dans la livrée des Sons of Horus. Sa tête nue laissait voir ses cheveux courts, son teint blême et son expression mauvaise. Et ce qui était peut-être un début de corne, commençant à lui poindre du front.

Quoraak ne répondit rien. S’il avait eu l’intention de l’abattre, l’autre l’aurait fait aussitôt. Peut-être les occupants du bord comptaient-ils l’interroger ; pour autant, le Son of Horus n’allait sans doute pas prendre de risque avec lui en cas de résistance de sa part.

Quelques longues secondes s’égrenèrent. Le traître, soudain, reçut certainement une transmission par le vox, et porta la main à son oreillette pour écouter.

C’était une occasion, la dernière.

Quoraak laissa ses jambes fléchir vivement sous lui. Le traître, surpris par le mouvement qu’il perçut, pressa la détente par réflexe, et le bolt partit en ne faisant que griffer le dessus du casque de l’Iron Hand ; alors même qu’il s’abaissait, Quoraak projeta son bras en l’air d’un geste vif, et trancha du fil de sa dague le poignet ceint de céramite.

Sans le laisser récupérer de sa surprise, Quorak plaqua le renégat au mur sous la menace de son propre pistolet. Aussitôt sa dague revenue au fourreau, il arracha au traître son micro-transmetteur en plongeant la main à l’intérieur de son gorgerin, puis il lui pressa plus fort la gueule du canon au creux de la carotide.

 — Tu n’arriveras à rien. Aucun d’entre nous ne te laissera repartir, lui dit le guerrier d’Horus, sa main valide serrée sur son moignon, dont le sang continuait de ruisseler.

Quoraak se sentit pris au dépourvu par ce temps d’arrêt inattendu dans sa fuite. Sa main broya le communicateur entre ses doigts bioniques.

Le guerrier qu’il maîtrisait de son arme ne lui était d’aucune utilité, la seule option logique consistait à l’abattre. Peut-être y avait-il des munitions à récupérer sur lui. Mais peut-être avant cela, des informations, qui leur avaient fait défaut plus cruellement que tout le reste.

 — Où en sont les combats ? l’interrogea-t-il.
 — Il n’y a plus que toi, j’ai l’impression. Nous avons tué tous tes frères.
 — Non. Les combats au sens large.

L’autre parut ne pas comprendre.

 — Le sous-secteur est entre nos mains, nous n’avions même pas l’idée qu…

Quoraak le fit taire en enfonçant le canon de son pistolet avec colère.

 — Terra, lui éructa-t-il au visage, les dents serrées.

Au bout d’une seconde encore, le visage du traître s’égaya, et il partit d’un rire hilare en finissant par réaliser.

 — Je savais que la Tempête de Ruine vous rendait les choses difficiles, dit-il, mais je ne pensais pas à ce point-là.

Un éclat malveillant lui passa dans les yeux en illuminant son expression.

 — C’est terminé. Terra est tombée, lui apprit-il. C’en est fini de votre résistance. La flotte de Rogal Dorn a été exterminée tout autour de Sol.

Quoraak sentit ses cœurs se glacer. Une raideur incrédule le prit, et un tremblement de sa main. Le Son of Horus était désarmé et diminué mais aurait encore pu tenter de se dégager. Il ne fallait pas se laisser distraire.

Son esprit refusait par réflexe d’accepter cette vérité et la rejetait en bloc. Quel intérêt le renégat aurait-il eu à lui faire croire cela ?

 — Tu mens, dit Quoraak.
 — Tu n’as pas entendu le bruit qui court ? On dit même que l’Empereur a supplié d’avoir la vie sauve.

Le coup partit. Les vertèbres éclatées par l’explosion du bolt, la tête du traître sauta. Quelques derniers tendons la retinrent et la laissèrent pendre de côté, tandis que le Son of Horus s’effondrait en glissant contre le mur, les yeux écarquillés.

Resté debout devant lui, Quoraak sentit peu à peu sa colère laisser place à un sentiment plus terrible. Une impuissance soulignée par sa solitude immense.

Des années à se débattre dans ces circonstances adverses, et tout était perdu.

La chair était faible. Peut-être ses yeux eussent-ils pleuré s’ils en avaient été capables.

Des bruits de pas arrivaient vers lui, attirés par la détonation du bolt. Quoraak leva encore son pistolet pour les accueillir.

L’espoir ne servait plus à rien.