Le ReclusiamCritiques des publications et Ebooks Warhammer 40 000 de la Black Library
Navigation
Navigation

Escale à Krollingium

Achèvements choisis :

  • Pacifiste : Ne pas tirer un bolt ou autre coup de feu tout au long de votre nouvelle
  • Sacré-Saint : Mentionner l’Empereur

  • A votre santé : Un personnage boit ou mange quelque chose.


Déambulant dans les rues bondées de la cité lumineuse, Flavion, empreint d’un air quelque peu ahuri, s’enivrait des parfums populaires qui selon lui caractérisent les urbains. Des senteurs de toutes sortes. Certaines chaudes et rances, lui évoquant l’air mainte fois recyclé des cargos, d’autres plus piquantes, lui rappelaient l’atmosphère agitée des ponts ouvriers, où les malheureux œuvrent sans relâche dans l’ombre et la fournaise. Il découvrit aussi celles des femmes mondaines aux robes multicolores et aux bijoux révélateurs de leur caste arrogante.

D’autres odeurs encore firent voguer son imaginaire vers des contrées exotiques aux délices innommables et aux couleurs surchauffées. Plusieurs d’entre elles réveillèrent même en lui des souvenirs étranges qu’il douta avoir réellement vécu un jour. Un voyage sensoriel si nouveau pour lui qu’il lui fit tourner la tête. D’ordinaire au monastère, il ne quittait sa cellule froide que pour se rendre aux offices quotidiens ou participer aux tâches collectives de la congrégation.

Mais après plusieurs semaines de navigation à travers les mers paisibles de l’Immaterium, l’escale à Krollingium lui avait donné l’opportunité de goûter à la vie des « gens de surfaces ». Il s’arrêta un instant pour laisser ses vieux os s’acclimater à tant d’impressions singulières dans ce chahut, et s’appuya sur le rebord d’une petite fontaine de rue qui délivrait une eau claire. Alors qu’il reprenait son souffle, les chœurs d’une procession religieuse parvinrent à ses oreilles.

Cherchant d’abord dans la foule, il finit par distinguer d’où ces clameurs sourdes, presque murmurées, provenaient. Un groupe de fidèles aux traits fatigués, défilait lentement dans la rue. Certains d’entre eux semblaient porter leur hampe comme un fardeau trop lourd. D’autres aux visages éteints, baissaient même la tête en récitant les cantiques. Tous avançaient laborieusement parmi des passants qui ne les remarquaient pas. Flavion lui, fut pris d’un inconditionnel sentiment d’admiration pour ces hommes et ces femmes usés, qui louaient pourtant l’Empereur avec tant de solennité. La journée était belle et à flâner dans les rues ensoleillées de la glorieuse capitale, le vieux prêtre exultait comme un enfant des ruches qui découvre l’océan.

Au terme de plusieurs heures passées à errer tel un marin à la dérive, perdu dans les tourbillons sonores de la vie citadine, Flavion avait décidé de profiter de quelques mets locaux dont les attraits lui avaient mis l’eau à la bouche depuis les vitrines. Assis à la terrasse d’un café il dégustait maintenant, sous un soleil doux, un thé de Soliane rose, accompagné de succulents biscuits de Kretz, qu’il engloutissait avec la grâce d’un marmot affamé. Mais au moment même où, pour profiter un peu plus de l’allégresse de l’instant il allumait son dernier cigalho, son attention fut pleinement retenue. Pointant sereinement par-dessus les visages de la foule, un humble St Pulius trônait silencieusement de l’autre côté de l’avenue.

S’empressant de régler ses consommations, Flavion se dirigea alors vers le monument. Il passa sous une arche qui donnait sur la rue, avant de déboucher sur une place timide au milieu de laquelle se dressait la chapelle. Une petite chapelle, bâtie en pierre de Kroll, paraissant oubliée dans le chaos urbain. Immédiatement le cœur du prêtre se serra d’émotion face à la beauté simple de l’édifice. Il en détailla chaque partie. Les archivoltes finement ciselées, le portail et son tympan aux ornements subtils, représentant le Saint Marcheur pieds-nus, chargé de son bâton. Il s’émerveilla également face au clocher triomphant et ses modillons rieurs, évoquant dans la joie les scènes d’un temps passé. Et son cœur gonfla encore devant la parfaite satisfaction, qu’en cet instant, sa Foi ne pouvait être plus légitime envers l’Empereur.

Il n’avait cependant pas remarqué la présence des quelques autres pèlerins qui se tenaient près de lui. Un homme d’âge mûr aux traits fins et aristocratiques, ainsi que deux bambins. L’un d’entre eux, des pétards plein les cheveux, affichait un air jovial et un sourire béat. L’autre à la mine plus sombre et au regard profond était presque effrayant, du haut de ses dix ans.

 — Le Saint Pulius, patron des missionnaires et des vagabonds. Quel outrage qu’un lieu si remarquable soit aujourd’hui déserté par les ouailles, lança l’homme, d’un ton situé à mi- chemin entre sarcasme et dépit.

Flavion surprit par l’apostrophe, dévisagea la petite assemblée avant de reporter son regard vers l’édifice. Un vent doux traversa la place.

 — L’Empereur veille, sur le noble comme le déshérité. Il est de nombreuses manières de Le servir et Lui offrir notre Foi, dit sereinement le prêtre. Ces vieilles pierres n’émeuvent plus que les vieux bougres comme moi vous savez.
 — Détrompez-vous mon père, fit l’homme en s’approchant doucement.
 — Que voulez-vous dire ?
 — Et bien regardez le visage des mes fils. Ne semblent-ils pas pénétrés par la grâce ? Eux-mêmes sont parfaitement capables de s’émouvoir devant une si simple grandeur.

L’homme affichait un rictus presque narquois. Il fit signe aux deux enfants d’approcher. Ceux-ci obéirent en silence.

 — Mais pardon, laissez-moi d’abord vous les présenter. Voici Hecktor. Et voici Viktor. Très différents tous les deux, mais l’un comme l’autre déjà sensible à la grandeur de notre héritage, et au charme des vieilles choses. L’Empereur vit en eux avec bien davantage de force que dans le cœur de nombreux citoyens, croyez-moi. Il tendit une main franche au prêtre, ainsi qu’un sourire sincère.
 — Monsieur Salanda. Et vous êtes le père ?
 — Odrund. Je suis le frère Odrund, rétorqua Flavion un peu décontenancé.
 — Enchanté mon frère. J’ai toujours éprouvé beaucoup d’admiration pour les hommes tels que vous.
 — Les hommes tels que moi ?
 — Les Ecclésiastes. J’admire leur dévotion, celle avec laquelle ils ne cessent de servir le Trône. Leur ferveur.
 — Comme je vous le disais, il existe bien des manières d’honorer l’Empereur-Dieu. Ma vocation n’en est qu’une parmi beaucoup d’autres.
 — C’est de celle-ci dont je parle ! reprit Salanda enjoué par la conversation. Cette Foi, qui vous fait voir l’Homme avec espoir et compassion. Vous savez pardonner la vanité des êtres et percevoir en eux la lumière. Il marqua une pause. Pardonnez mon ton un peu grave, mais je pense qu’aujourd’hui la Foi des hommes est pour beaucoup devenue artificielle et accessoire.
 — L’Empereur protège, et guide les justes vers le Salut. L’ignorance de certain ne doit pas vous accabler monsieur. Je sais aujourd’hui que l’œuvre de l’Empereur réside aussi dans l’acte quotidien, dans l’altruisme et l’indulgence. Du travail le plus simple à la plus grande dévotion, tous ces citoyens Le servent, sans même le savoir. Lui, le sait.

Acquiesçant poliment, l’homme, qui avait fait quelques pas vers la chapelle se retourna vers le prêtre.

 — J’apprécie votre enthousiasme et votre foi en l’humanité mon frère. Mais sans vouloir vous offenser je la trouve un peu… naïve.

Pour garder toute son allure, Flavion redoubla d’un sourire hypocrite.

 — Regardez donc ce temple, poursuivit Salanda, il est à l’image de notre empire. Bâti sur des fondements solides, chargé d’histoire, de gloire et de symboles. Pourtant, il est perdu au milieu même de l’océan qui l’a vu naître. Le citoyen impérial a perdu le goût et la valeur des idoles. Il ne vit que pour son plaisir propre, autour d’un dogme qui s’affaisse.
 — Quelle sombre vision vous nous peignez monsieur…

Un silence de plusieurs secondes s’écoula.

 — Des animaux ! avait craché le garçon au regard noir.
 — Pardon ? interrogea Flavion.
 — Mon père dit toujours que sans la morale et le devoir, les hommes sont des animaux !

Le père des deux enfants fut pris d’un petit rire à peine contenu.

 — Pardonnez mon Viktor frère Odrund, il est assez acerbe envers les nôtres, parfois.
 — Ce n’est rien, fit Flavion, confondu par l’attitude du garçon. Il a raison en réalité. Notre Foi nous élève et nous fait homme. Mais l’Empereur sait aussi pardonner ceux qui en doutent.
 — Le doute est le premier pas vers l’inaction, l’inaction le premier pas vers l’hérésie, déclama le jeune Viktor.

Flavion mal alaise, sourit en entendant cette célèbre maxime sortir de la bouche d’un gamin.

 — Tu sembles bien connaître les textes, mon garçon.
 — Non. Je sais seulement qu’ils ont été écrits par des hommes, qui inventent des règles pour nous gouverner, au nom de l’Empereur-Dieu. Mais les hommes sont faibles. Ils nous disent ce qui est bon ou mal selon leurs désirs. Et quand ces hommes dirigent avec leur orgueil et non avec leur Foi, tout devient chaos !

Viktor foudroyait Flavion d’un regard froid, ce qui accentua son malaise. Il aurait presque eu l’impression de se faire sermonner par un père supérieur.

 — Mon frère, vous connaissez surement l’histoire de Saint- Sargar ? dit Monsieur Salanda.

Flavion perplexe, ne répondit rien. L’autre homme poursuivit.

 — Sargar était un enfant comme les autres qui vivait dans un petit village où rien ne le prédestinait à devenir un saint. Il avait un ami, Viqar. Tous deux, comme tous les enfants du village, aimaient jouer à des jeux. Il leur arrivait à tous de gagner ou de perdre, mais sans jamais éprouver une once de jalousie. À l’un de ces jeux, Sargar était imbattable. Un jour, après avoir perdu contre son ami, Viqar fut pris d’un terrible sentiment de rancœur, au point qu’il en rumina plusieurs nuits. Une nouvelle émotion était née. Il décida alors de ne plus jouer avec Sargar mais seulement avec les autres enfants. Et il comprit bientôt qu’il était capable de les battre à chaque fois, en les faisant douter d’eux-même et de leur légitimité à gagner. Mais cela ne fonctionna jamais contre Sargar. Avec le temps, usant de sa ruse, Viqar était parvenu à se hisser comme roi. Sa rancœur et sa haine toujours grandissante, il finit par enfermer Sargar dans une caverne pour le reste de ses jours. Le village devint une cité, la cité un royaume, et le monde oublia le nom de Sargar. Viqar était devenu un tyran, riche et glorieux, qui avait dressé des idoles pour gouverner son peuple. Il l’avait dupé et fait peu à peu sombrer dans la décadence. Vers la fin de sa vie, devenu fou et malheureux il retourna voir Sargar dans la caverne. Celui-ci lui parut d’abord vieux et pathétique. Mais lorsqu’il vit qu’il affichait toujours ce même sourire qu’il avait autrefois, Viqar comprit que son ami n’avait jamais été brisé. N’ayant jamais perdu la Foi, n’ayant jamais douté de sa condition, il demeurait le plus heureux des hommes. Viqar réalisa alors son erreur, implora le pardon de son ami, puis décida ensuite de mettre feu à la cité pour y abattre les fausses idoles qu’il avait érigées. Il avait recouvré la Foi.

Et comme en écho à cette étonnante prosodie, les cloches du St Pulius se mirent à sonner. Plusieurs secondes passèrent. Flavion était subjugué par tant d’exaltation, et tous sur la petite place ombragée pouvaient sentir la confusion du vieux prêtre. Les harmoniques scintillantes de l’airain planaient encore dans l’air quand Salanda reprit la parole.

 — J’ai été ravi de partager cet instant avec vous mon frère. Peut- être nous reverrons-nous ?
 — J’en doute monsieur. Je pars demain pour Ovatia. Mais j’ai été… ravi. Le prêtre salua respectueusement de la tête.
 — Les enfants. Puisse l’Empereur-Dieu éternellement veiller sur vous. Tous deux acquiescèrent.
 — Sur vous aussi frère Odrund, répondit Viktor, sur vous aussi.

Sur le chemin du retour à l’hôtel, la mine grise, Flavion croisa la procession qu’il avait vue plus tôt. Ce qu’il avait d’abord pris pour de la grâce solennelle, il le voyait maintenant comme de l’accablement. Il ressentit même un sentiment de dégoût et de tristesse, lorsqu’il remarqua que personne autour des fidèles ne leur portait attention. Son cœur battant comme jamais il n’avait battu, le vieux prêtre, déterminé, rejoignit le groupe de croyants. Et au milieu de la foule, en prit la tête. Levant vers les cieux la hampe cérémonielle qu’il venait d’emprunter, il entonna plus fort et plus haut que tous, les paroles saintes du chant « Notre Empereur reviendra ! ».