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L'Amour du Travail Bien Fait

On le qualifiait d’émotif, ce qui n’était pas un qualificatif commun pour un prêtre de la Machine. Ses sensations corporelles étaient naturellement limitées, la plupart de ses membres et organes ayant depuis bien longtemps été remplacés par des versions synthétiques par soucis d’efficacité : les stimulus du commun des mortels n’étaient pas pratiques. Même son cerveau augmenté lui permettait d’être si productif au quotidien — il avait lui-même optimisé l’encodage binaire des serviteurs du vaisseau pour être 2.7% plus léger tout en étant aussi robustement encrypté — il n’empêchait pas certaines émotions de transparaitre. Mais il le décrivait plus simplement : il avait juste l’amour du travail bien fait et ne tolérait pas qu’on critique ses actions.

Cela ne déplaisait pas forcément à ses maîtres, eux aussi étant à la recherche de sensations toujours plus fortes. Même si à leur inverse il ne prenait pas directement part aux combats, on attendait de lui que le vaisseau et ses appendices soient toujours fonctionnels et pret à surmonter ce que la galaxie leur réservait. Mais après des siècles d’errance entre l’espace réel et le Warp, la maintenance relevait plus du miracle quotidien. Même si chaque jour passé sans une avarie technique supplémentaire non-déjà répertoriée lui apportaient de la satisfaction (la dernière ne datant que de 331249 secondes plus tôt), il appréciait quand l’esprit de la Machine se rebellait un bon coup comme lui. Même si lui pouvait insulter ses maîtres en face à face et y risquer la vie, alors que la machine était sacrée et indispensable.

Il ne savait pas exactement combien de temps leur dernier séjour, plutôt dérive, en espace réel avait duré suite à la panne de leur moteur Warp. Cet oubli comme la panne n’était pas de son fait, ses maîtres effaçant régulièrement des pans entiers de sa mémoire, «pour ne pas heurter votre sensibilité en ruinant vos statistiques» lui avait-on dit. Ceux-ci n’étaient jamais vraiment déconnectés de l’éther puisqu’il en faisait partie d’une certaine façon : il n’était pas le seul à ne plus avoir ses organes d’origine. Mais lui seul pouvait converser avec ce moteur Warp si capricieux, et cela valait tous les démons qu’il avait vu.

Si une psyché humanoïde est complexe, on pourrait dire que celle d’un esprit de la Machine ne l’est pas. Mais s’il qualifierait la première de «simple», des boutons chimiques à presser et des connexions neurales au débit ridicule en comparaison du reste, la seconde était difficile par sa simplicité. Comment convaincre un moteur de redémarrer ? Il parlait bien de convaincre, car techniquement tout était fait pour son fonctionnement. Même nettoyé en y sacrifiant plus d’un serviteur, même apaisé par les litanies connues de lui-seul, même injurié par des Spaces Marines aux pouvoirs ésotériques, il refusait de s’enclencher et ne renvoyait qu’un message d’erreur qu’aucun manuel corrompu depuis des âges ne pouvait expliquer.

Il en avait donc été rendu à parler à ce moteur, le blasphème étant une notion qu’il classait comme inutile à utiliser mais quand même à conserver. Il lui avait exposé les nombreux exploits des passagers à bord, sans réponse. Les prières d’usage comme celles aux dieux noirs ? Pas de réponse, pas un ricanement. La frustration de ces maîtres avait quand même fini par déteindre sur lui, il avait été rendu à lui poser une question, comme pour moquer l’intelligence de tous les concernés :

 — Qu’est-ce que tu veux ? avait-il transmis avec agacement dans un code si bas-niveau que cela en était un affront même à un serviteur lobotomisé.
 — Je veux bruler les étoiles.

L’étonnement n’avait duré qu’une petite partie de nanoseconde, sitôt remplacé par la satisfaction d’avoir débloqué le puzzle. Il lui avait fallu 4.2 secondes pour arriver à la solution, mais 23.9 secondes pour en triple-vérifier les conséquences. Il n’avait pas «peur» de ce qu’il s’apprêtait à mettre en place, ni de comment le capitaine allait répondre à sa folle demande, il comptait sur la bonne nouvelle pour temporairement tromper la chimie de son interlocuteur :

 — Capitaine, j’ai une procédure avec 83% de chance de succès à nous faire repasser en navigation Warp. Puis-je procéder ? avait-il tout de suite transmis de façon vocodé avec un léger filtre soulignant son assurance.
 — Ah ! Combien de chances qu’on reste cloué pour l’éternité en cas d’échec ? Une éternité que je passerais à t’arracher chaque puce et câble avec précision, sache-le.

Sa tentative n’ayant pas réussi et les chances en question étant de l’ordre de 59%, il se dit qu’il devait jouer le tout pour le tout dès maintenant et oublier les insultes :

 — Seigneur, l’esprit de la Machine aspire à la même exaltation que celle que vous ressentez au combat, nous ne cherchons qu’à vous faire honneur. Nous vous garantissons une expérience que vous n’avez jamais connu. répondit-il en espérant que le pari serait gagné en faisant appel à cette soif de sensations toujours présente. Ma pré-analyse m’indique que je pourrais tenter un démarrage dans 89 secondes.
 — Fais donc ! Nous sommes à l’arrêt depuis trop longtemps. Mais ce sera toujours moins long que l’éternité que je te promet en cas d’échec ! Sa haine s’étalait sur toutes les couches du spectre audio comme binaire, preuve de la puissance de l’esprit de la machine de son antique armure.
 — Tout de suite seigneur.
 — A tous les membres de l’équipage, transition Warp dans 120 secondes. fut diffusé à travers le vaisseau dans tous les encodages.

Naturellement tout le monde était prêt depuis beaucoup trop de jours et 2 minutes ne posait pas de problèmes vu que l’équipage bougeait à une vitesse surhumaine, ou était fixé définitivement par une fusion de câbles et de chair à leurs postes de travail. Néanmoins, il savait que les 31 secondes supplémentaires qu’on lui accordait était purement une insulte plus qu’un désir de jouer la sécurité avec son travail ou avec le passage parfois capricieux des secondes auquel ils étaient tous habitués dans le Warp.

Il en profita donc pour s’accorder une pause en déclenchant en avance sa propre sous-routine de maintenance biologique, juste après avoir transmis une clé privée toute fraiche à son collègue capricieux en marque de respect et le script complet de ce qu’il allait se passer au bout des 120 secondes. Il pondéra inhabituellement sur la portée symbolique de ce qu’il s’apprêtait à faire, surement une association vestigiale de ses fonctions corporelles : il allait se connecter directement au moteur Warp, désactiver 32 sécurités standards et outrepasser 21 protocoles, et simplement pousser la puissance au maximum que la machine lui permettrait, le plus rapidement possible, en dépit des risques.

Sa ration de nutriment digérée il relança une dernière fois sa routine de préparation et diffusa à courte portée les prières les plus sacrées qu’il avait, son encodage binaire les compressant en court pic sur le réseau. Il se brancha avec son tentacule principale et fut étonné de sentir la connexion plus fluide que prévue. C’était même plus que ça : l’esprit de la Machine était présent au premier plan et ses pare-feux s’affolaient tant elle essayait de prendre le contrôle de son interface humanoïde. Au moins la première partie de son plan avait fonctionné.

Il ne savait plus si c’était sa propre voix, celle du vaisseau, le vox ou le Warp lui-même qui diffusa ses mots :

 — Nous allons bruler les étoiles !

La puissance atteignait les 437% quand le capitaine s’estima satisfait du travail de son subordonné, même si le retour des effluves malignes participait à son contentement il savait reconnaitre le travail bien fait lui aussi, et les sensations promises étaient au rendez-vous. Les tuyères crachaient leurs spectres et les fluides mécaniques comme ceux dont la composition impliquait du sang — pas seulement humain — se consommait à pleine soif, mais celle-ci était toujours présente. Le moteur comme son pilote était tous les deux fous de l’ivresse procurée par ses flammes de rétro-poussée gigantesques, par les statistiques de fonctionnement qui battait des records secondes après secondes, et celle de fiabilité tout autant mais en négatif.

La soif grandit jusqu’à la mise à sec de tous les consommables du vaisseau, et l’amour du travail bien fait se fit un amour charnel pendant une nanoseconde quand le vaisseau explosa en une super-nova de jouissance occulte et matérielle, les pièces du vaisseau comme ses occupants se noyant dans le reste du Warp alors que le moteur affichait 888% de puissance atteinte.